Game over

Publié le par noserrances.over-blog.com

Elle n'avait pas faim
elle était entrée par habitude
comme tous les mardi
après le concert

elle avait choisi la même table
commandé la même bière

elle avait souri au patron
et aux habitués

elle avait gardé sa grande cape noire
déposé ses gants sur le bord de la table marbrée
placé son sac tout contre elle serré
sur la moleskine rouge

elle avait ôté lentement l'écharpe de son cou
croisé sagement ses jambes minces
gainées de bottes souples
sorti un petit mouchoir de fil blanc
pour tamponner ses yeux sombres
et leur cerne humide

elle était restée là
ni près, ni loin du comptoir
presque immobile
perdue dans une contemplation intérieure
obstinée

elle avait juste trempé ses lèvres
dans la mousse blonde
puis reposé le boc
presque repoussé
délaissé

elle avait essuyé ses lèvres
avec le même mouchoir
laissé les traces carminées
de son sourire éteint
le colorer

elle avait longuement inspiré
expiré
elle avait posé son regard lent
et appuyé sur chaque détails
chaque visage

on pressentait qu'elle souhaitait parler
délivrer aux mots un passage

le temps s'était figé
les attentions scotchées
que disait
ce pauvre message?

elle serait seule à présent
et définitivement

ils s'étaient souvenus
qu'ils étaient toujours deux
elle en noir
lui en bleu

depuis quarante ans
fidèles amants
clients du mardi
passé les minuit

amateurs de Eisbock
et de musique rock

ils avaient consommé
un demi par soirée
puis étaient repartis
saluant
souriant
aimables et discrets
qui pouvait se douter
de leur identité
de leur intimité
de leur célébrité

elle s'était levé
avait salué
la conso étant réglée
avait remis son fin carré
maculé et frippé
dans le fond de son bagage
enfilé ses gants de veuvage
et quitté le petit bar
sans autre aurevoir

les talons frappaient le pavé
de plus en plus loin
de moins en moins fort


s'étaient-ils séparés?
de quoi était-il mort?


ils savaient désormais
qu'ils ne l'apprendraient jamais


Miel,  22 janvier 2011
(In memoriam GP)

Publié dans Poèmes-Textes

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M
<br /> Sur ce sujet dire qu'en effet, même si je ne me souvenais pas de ton texte, la solitude et la souffrance de solitude se manifestent avec des symptômes et des effets, des conséquences semblables,<br /> donc si similitude de situation alors ressemblance de scenario par exemple lorsqu'on se trouve dans un café et que l'on observe les clients à la dérive<br /> <br /> mais la similitude s'arrête là<br /> car l'observateur de ton texte ne connaît pas la personne qu'il observe et décrit, et ne peut que faire des suppositions à son égard<br /> que communiquer avec son apparence puisque le regard est vide<br /> dans "game over", je connais la personne dont je parle et son histoire et leur histoire à deux<br /> ceux qui ne connaissent pas l'histoire sont les autres dans le bar, et pourtant c'est une habituée, toutes les semaines ou presque à venir le même jour à la même heure pour consommer sensiblement<br /> les mêmes boissons et encas servis à toute heure 24h/24, 7j/7<br /> pendant 40 ans! belle performance!<br /> le monde est ainsi fait que chacun est dans sa "bulle" et parfois la bulle n'arrive pas à crever<br /> et je pense à Brel "personne n'écoute ce que ses pauvres mains racontent!" (ces gens-là)<br /> la solitude, l'indifférence, la vanité de certaines relations<br /> il n'était pas utile de "retenir" cette femme et l'écho de ses talons se perd sur les pavés<br /> pourvu qu'elle n'aille pas au fleuve tout proche! mais personne n'ose prendre le risque de lui parler, de la faire verbaliser, de l'accrocher à la vie. C'est terrible!<br /> Un regard "humain", un mot de connivence, une vraie parole lui aurait fait un immense bien, pourraient la sauver (au cas où elle veuille se perdre!)<br /> l'aurait rattaché à la réalité, à la solidarité de la communauté humaine<br /> le contact d'une main chaleureuse sur son épaule aussi<br /> <br /> lorsqu'on affronte le deuil et qu'on est encore jeune et pas malade, l'absence va durer longtemps!<br /> cette femme n'est pas n'importe qui, cependant la "discrétion" ou l'indifférence des personnes fréquentant ce lieu la rendent aussi "misérable" que quelqu'un d'inconnu qui n'a aucun ami, plus<br /> misérable encore, ses vêtements et son maintien l'isolent de l'homme de la rue et du pilier de bar!<br /> <br /> certes cet "entourage" respecte son chagrin et son secret, mais dans certaines circonstance, ne faut-il pas briser les "convenances", ce qu'on appelle le "respect humain", ne faut-il pas se faire<br /> "frère" et "prochain" de celui qui vit un drame profond sous nos yeux?<br /> <br /> ils restent muets et coupables dans la salle<br /> et leur torture (passagère) est de prendre conscience de leur lâcheté et de leur impuissance, ils auraient pu savoir et ils ne sauront jamais<br /> <br /> "péché d'omission"<br /> <br /> <br />
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M
<br /> là aussi, je viendrai te répondre plus tard, car j'ai à dire à ce sujet!<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Tu as bien perçu que ce blog est le lieu de "joutes" en effet, entre Remeny et moi<br /> ce n'est pas simplement un lieu où tantôt lui, tantôt moi postons selon nos envies et coups de coeur<br /> c'est aussi celui où nous nous répondons, non par commentaires, mais par notes<br /> par exemple cette note répond à celle de Remeny: La Grande Bouffe<br /> <br /> Parfois tous les ingrédients sont réunis pour que la fête soit parfaite<br /> et cependant c'est l'ennui ou la tristesse qui prévaut chez certain<br /> <br /> En lisant son texte, je l'ai revue cette amie, dans le petit bar,<br /> je l'ai revue à la même table, dans le même coin, au sortir des mêmes concerts du mardi soir, mais seule, puisque son compagnon, chroniqueur musical, a disparu il y a peu.<br /> <br /> pour elle c'est "GAME OVER" qui prévaut, malgré l'ambiance sympa, festive<br /> rien n'a changé, c'est toujours la fête, SAUF pour elle<br /> <br /> <br /> <br /> Reste pour observer "derrière la haie" (comme dirait Miel), compte les "points"<br /> ou bien participe en commentant<br /> <br /> va<br /> viens<br /> sois libre<br /> comme nous le sommes Remeny et moi<br /> <br /> <br />
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N
<br /> <br /> C'est étrange, cette histoire me fait penser à un article que tu connais déjà... je le remets...<br /> <br /> <br /> <br /> Au « Bon Coin », un samedi après-midi. Une femme dans la quarantaine, assise au comptoir. Dehors, il pleuvait. Il n'était que trois heures mais il faisait déjà sombre. Il n'y avait que deux<br /> ou trois clients dans ce café. Le juke box diffusait, pour la quatrième fois «Mes tendres années».<br /> <br /> J'étais donc assis dans un coin du comptoir, à l'autre bout se trouvait cette femme, immobile et pâle. A quoi pensait-elle ? Que fixaient ses yeux ? Le vide ! Je pensais : «Maudite soit la<br /> solitude... » Comment vivre avec une telle résignation ?<br /> <br /> Elle ingurgitait verre après verre et allumait cigarette sur cigarette. Personne ne semblait s'apercevoir de sa présence. Je la regardais. Elle me regardait. Aucun de nous n'a prononcé un<br /> mot. Nous ne nous parlerons jamais, et jamais plus je ne la reverrais...<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Je sais ce que veut dire "Game over"<br /> <br /> A quoi veux-tu jouer?<br /> <br /> Ceux de ton histoire ne jouent plus<br /> <br /> n'ont plus rien à perdre<br /> <br /> mais toi<br /> <br /> qu'as-tu à perdre ou à gagner?<br /> <br /> Les jeux sont faits?<br /> <br /> joues-tu à qui-perd-gagne?<br /> <br /> Puis-je rester à observer, pour féliciter le gagnant<br /> au cas où?<br /> <br /> <br />
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